25.03.2024
L’architecte de l’Opéra de Paris Charles Garnier (1) pouvait-il imaginer l’Opéra tel que nous le découvrons aujourd’hui, l’Opéra qui porte son nom ?
Publiphobe de la 1ère heure, Charles Garnier a publié sur la gazette, un siècle et demie avant l’organisation des Jeux Olympiques de 2024 à Paris ce texte “Les affiches agaçantes” dont nous vous confions quelques extraits…
Vous trouverez l’article dans son intégralité sur la bibliothèque numérique du site Gallica, le document étant la propriété de la Bibliothèque nationale de France (2).
Au-delà de l'émotion, c'est le sentiment de révolte qui l’emporte aujourd’hui, face à des décideurs, des multinationales et des publicitaires qui n’ont que faire de la beauté, de l’art, des sites, des paysages, du patrimoine commun de notre nation.
Photo de l'opéra Garnier en 2010 par Alexander Hoernigk(3)
Photo de l'opéra Garnier fin décembre 2023 par une adhérente, Paysages de France (4)
Gazette des beaux-arts (Paris 1859), 1870-1871
“ N’ êtes-vous pas comme moi ; ne vous sentez-vous pas offusqués par ces grandes pancartes industrielles qui s’étalent au milieu de nos rues, s’imposent à nos regards et nous gâtent tant de belles vues de notre cité ? Peut-être serez-vous étonnés de cette question, tant pis alors : car déjà vous êtes contaminés par le milieu dans lequel vous vivez et le sentiment du goût s’est émoussé dans votre esprit. Quant à moi, ces énormes affiches peintes me causent toujours une impression fort désagréable, pénible même, et je me sens souvent saisi d’un violent dépit contre les administrateurs qui laissent ou qui ont laissé si négligemment notre ville compromettre sa beauté par de telles enseignes.
Comment, je ne pourrai pas, en parcourant certains quartiers de Paris, admirer à mon aise les édifices qui y sont construits, sans être entravé dans mon admiration par d’énormes annonces qui attirent et blessent ma vue ! [ … ]
Je paie mes taxes, surtaxes, centimes et décimes pour que vous, maire de Paris, préfet de la Seine ou préfet de police, me donniez un de de bien-être par-ci, un peu d’art par-là ; [...] n’ai-je pas le droit de trouver que mon argent est en partie mal employé ? [...]
[...] est-ce que tous ces enfants, qui ne savent encore rien de l’art, ne peuvent pas se laisser surprendre par ces grossières images imposées chaque jour à leur vue ? [...] Les rues, les places, les villes enfin, doivent faire l’office de professeurs ; l’éducation première et persistante vient de ce qui nous entoure, et il ne faut pas négliger ces enseignements forenses, car les leçons qu’on en reçoit, bonnes ou mauvaises, laissent des germes profonds, qui seront bien longs à disparaître, si même ils disparaissent jamais.
Si vous vous sentez impuissants à développer cet enseignement, au moins soyez assez forts pour ne pas le pervertir. Mieux vaut une nation ignorante qu’une nation corrompue, et, ne fût-ce que partiellement, vous aidez sans conteste à la corruption du goût en ne proscrivant pas sévèrement de telles enseignes.
Oh ! je sais bien que vous allez vous retrancher derrière le grand mot de liberté individuelle, et que vous me direz que tout propriétaire a le droit de disposer de son mur à sa façon ; mais si vous le laissez libre d’abandonner ce mur à la confection de grosses réclames, vous ne laissez plus tous les autres habitants libres de se promener sans être agacés par elles.
[...] je veux protester et je proteste contre cette coutume déplorable, qui n’est en résumé qu’une marque de décadence, qui tend, hélas ! à se généraliser. La province imite Paris dans cette laideur ; l’étranger suit la même voie; [...]
. . . . . Vraiment, vous trouvez que j’exagère ; vous trouvez que ces barbouillages ne valent pas tant de colère et de tristesse. [...] toutes ces photographies qui étaient prises de cet ensemble et qui se répandaient à l’étranger montraient à tous les artistes de la terre que, peu soucieux du caractère accusé et typique de cette vue, les parisiens souffraient que pour l’appât de quelques francs un quidam se donnât le droit de détruire et les lignes et les couleurs de la point du Pont-Neuf.
[...] l’art est partout, il est dans tout : dans la rue comme dans le musée, et je dénie le droit que s’arrogent quatre ou cinq industriels de maculer avec leurs enseignes outrecuidantes la ville qui abrite un million d’habitants !
[...] il se peut que le petit grelot que je fais sonner tinte assez fort aux oreilles de nos édiles, pour qu’ils supposent que le bruit qu’ils entendent n’est pas fait par moi seul, mais bien aussi par nombre de gens qui partagent mes impressions à l’endroit des affiches agaçantes.”
CHARLES GARNIER.
extrait de la Gazette des beaux-arts (Paris 1859). 1870-1871
(1) Charles Garnier gagne le concours de l’Opéra en 1861
(2) Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter : reutilisation@bnf.fr.
(3) Photo de l'opéra Garnier en 2010 par Alexander Hoernigk — Travail personnel, CC BY 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=48031324
Ici vous remarquez que seule une petite partie du bâtiment est couverte d'une bâche le temps de la rénovation, sur le côté.
En 2010 les publicitaires n'ont pas encore l’idée d'utiliser 50 % de ces supports.
(4) La publicité sur bâche a été installée au printemps 2023 et l'échafaudage sera démonté après les Jeux Olympiques de 2024. Un très grand nombre de visiteurs est attendu pour cet évènement, les images seront retransmises et vues par plus d’un milliard de personnes durant cette seule période. De nombreuses autres publicités ornent les alentours, ainsi que l’avenue des Champs-Elysées. Nous sommes loin du mécénat qui appose un simple logo.