29.12.2017
Interview de Pierre-Jean Delahousse, porte-parole de Paysages de France, sur le site de l'Obs ce jeudi 28 décembre :
Publicité au sol autorisée : "Toujours les mêmes qui subissent cette pollution visuelle"
Plusieurs villes peuvent désormais tester les marquages publicitaires biodégradables éphémères sur les trottoirs. Le porte-parole de l'association Paysages de France réagit.
C'est un bien beau cadeau de Noël pour les afficheurs. Les villes de Bordeaux, Lyon et Nantes peuvent tester, depuis le lundi 25 décembre, les marquages publicitaires biodégradables éphémères sur les trottoirs. Cette période d'essai est prévue sur un an et demi, selon un décret publié dimanche au "Journal officiel" qui "déroge à plusieurs règles du code de la route et du code de l'environnement".
Un laxisme que dénoncent les associations Résistance à l'agression publicitaire (RAP) et Paysages de France. Pierre-Jean Delahousse, ex-président et actuel porte-parole de cette association qui se bat pour la préservation de l'intégrité des paysages français, nous a accordé une interview.
Ces publicités au sol sont-elles plus dommageables que les panneaux géants et les affiches aux murs ?
C'est la goutte d'eau qui nous fait dire : jusqu'où ira-t-on pour satisfaire les afficheurs, toujours plus en demande de place dans l'espace public ?
Ce nouveau décret, qui revient sur une interdiction prévue par la loi, s'ancre dans une logique de grignotage du code de l'environnement que l'on observe depuis cinq ou six ans. Le Grenelle a été en grande partie dépecé et ça continue. C'est la fuite en avant du tout publicitaire. C'est ça qui nous inquiète. Nous ne sommes pas une association anti-publicité, mais nous sommes préoccupés par ses excès et clairement aujourd'hui, nous sommes dedans. Le plus triste ? Ce sont toujours les mêmes qui subissent le plus cette pollution visuelle.
La publicité pollue certains citoyens plus que d'autres ?
Bien sûr ! Notre association, qui prête particulièrement attention aux panneaux publicitaires, constate qu'ils ne sont pas installés au hasard. On les retrouve majoritairement dans les quartiers les moins favorisés. Hormis lors de travaux de réfection, ce sont rarement les beaux quartiers qui sont envahis par les publicités. D'ailleurs, les Parisiens ne se rendent pas bien compte de l'ampleur du phénomène, qui touche surtout les villes de province et les quartiers périphériques, parce qu'ils sont relativement préservés.
« Polluer l'espace public serait une démarche écologique ?
C'est se moquer du monde. »
Les publicitaires le savent bien : les quartiers les plus populaires offrent moins de résistance. Ceux qui vivent dans des HLM sont beaucoup moins prompts à se rebeller contre la pollution visuelle. Ils ont d’autres urgences. Pourtant, tous les citoyens devraient bénéficier du même niveau de protection de leur cadre de vie. Le paysage appartient à tous, c'est un bien collectif, ici comme ailleurs, et nous devons le préserver. Aggraver encore un peu plus les disparités en imposant une pollution supplémentaire dans certains quartiers n'est donc pas la solution.
La société de publicités Biodegr'AD défend son projet en le qualifiant d'éphémère et de "quasiment 100% écologique", la seule matière première étant, selon son créateur, "de l'eau non potable".
Mais c'est de l’enfumage ! D'ailleurs les gens ne croient plus à ce genre de salade. Polluer le paysage, l'espace public, les lieux de vie et l'environnement serait une démarche écologique ? C'est se moquer du monde que de tenter de nous faire avaler ça.
Des publicités "éphémères" au sol ? Mais les publicités sont éphémères par nature. Sur panneau ou au sol, elles sont faites pour changer tout le temps, c'est le principe. Quant à l'eau "non potable" qui servirait à la confection des marquages... c'est un peu comme le discours que nous servent les afficheurs qui, pour faire oublier que leurs centaines de milliers de panneaux lumineux sont une source de gaspillage énergétique et de pollution du ciel nocturne, parlent "d'électricité verte".
Sans oublier l'objectif principal de la publicité : encourager la consommation, l'accumulation puis la destruction de biens. Ce qui a inévitablement pour effet de détruire petit à petit les ressources de la planète.
Un rapport devra notamment mesurer "un éventuel lien" entre ces marquages sur les trottoirs et des accidents de la route ou des chutes de passants. Ces publicités pourraient donc être dangereuses ?
Oui, cela fait également partie du problème. Le Code de la Route dit que les publicités ne doivent pas solliciter l’attention des usagers des voies publiques dans des conditions dangereuses. Or une publicité, c'est, par définition, fait pour attirer l'attention. Les automobilistes qui roulent près des trottoirs et les piétons qui s'y promènent risquent donc bien de pâtir de cette nouvelle distraction. Les pouvoirs publics et les maires ne cessent de décliner le mot "sécurité", mais il est facilement mis de côté dès qu'il s'agit de satisfaire l'appétit des afficheurs.
Dans un communiqué, la mairie de Bordeaux déplore que les élus et administrations de la ville et de la métropole "n'aient, à aucun moment, été consultés ou informés en amont de cette décision". Vous aussi, vous dites que vous n'avez pas été consulté...
L'association était bien sûr au courant de ce qui se tramait. Elle a heureusement ses réseaux d'information. Mais ce n'est pas le gouvernement qui nous a avertis, et je le déplore. Paysages de France est une association agréée au plan national. Elle est, du fait de son expertise en matière de publicité extérieure, un interlocuteur incontournable des décideurs et notamment du ministère de l’Ecologie. Or il n'y a eu ni information, ni échange, ni concertation... Et ce ne sont pas les occasions d'en parler qui manquaient.
« Une logique de démantèlement programmé
des règles protégeant notre environnement »
Pas plus tard que le 14 décembre dernier, nous avons été invités au ministère de l'Environnement pour la présentation de la loi olympique qui prévoit, dès sa signature et jusque 2024, la possibilité de pavoiser d'emblèmes olympiques les monuments historiques ou sites classés. Mais aussi d'autoriser l'affichage des sponsors du CIO et des JO-2024 sur les bâtiments accueillant des compétitions et dans un périmètre de 500 mètres autour des lieux, durant trois mois autour des compétitions. Ce jour-là, personne n'avait évoqué avec nous la question de l'affichage publicitaire au sol. Ce décret a été concocté en catimini. Et ce n'est pas la première fois.
En 2015 déjà nous avions vécu un affront similaire, lorsque, en plein mois d'août, le gouvernement avait sorti de son chapeau un projet de décret prévoyant de remettre en cause des mesures clefs du code de l'environnement en matière d'affichage publicitaire. Certes, nous avions finalement réussi à faire reculer la ministre de l’Ecologie puis le ministre de l'Economie [à l'époque Emmanuel Macron, NDLR]. Mais c'était bien la logique de démantèlement programmé des règles protégeant notre environnement qui était en marche.
Qu'auriez-vous souhaité proposer au gouvernement sur ce décret ?
Une consultation avec le gouvernement nous aurait permis de demander, au minimum, des contreparties à cet affichage au sol qui profite uniquement aux publicitaires. Il faut savoir que nous vivons dans une société dirigée par de puissants groupes de pression, dont celui de la publicité. Difficile d’ailleurs de ne pas croiser un afficheur lorsque l'on se rend dans certains ministères, surtout du côté de Bercy. Ça m'est personnellement arrivé plus d’une fois.
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